Être amoureux, ça veut dire quoi?

par Daphnie Charest

Je sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai cru pendant une belle grosse partie de ma vie que les gens qui se disaient “en amour” se racontaient des histoires. J’étais convaincue que par mécanisme de déni, ce qu’ils vivaient était en fait de l’attachement dans une sorte de dépendance affective ou un désir de possession. Je me disais qu’ils se créaient une grande illusion dans leur imaginaire ou qu’ils étaient amoureux d’une projection d’eux-mêmes (dans l’absolu, c’est pas tout à fait faux!). Les chansons d’amour me rendaient aigre et j’observais les couples unis avec une sorte d’admiration curieuse, parfois un peu de jalousie en background. Par contre, les films que j’écoutais avaient tous des trames narratives similaires, mais je ne m’avouais que très rarement que c’était l’histoire d’amour un peu quétaine qui faisait frétiller tout mon être. À l’intérieur de moi, l’adolescente qui avait toujours eu l’espoir que l’amour existait pour vrai s’emballait devant les comportements romantiques et les histoires à l’eau de rose. C’était le début de mon exploration des multiples facettes l’amour.

L’amour maternel

Quand j’ai eu mon fils en 2011, j’ai compris ce que ça voulait dire d’aimer. Je pouvais comprendre l’envie de se donner tout entier pour le bien être de quelqu’un d’autre. Comme si je pouvais disparaitre et laisser l’amour me traverser vers mon enfant, dans une absolue confiance en la vie, la connexion et l’évolution. À un poil près d’une expérience transcendantale, mes premières années de maternité m’ont aidée à connecter profondément à l’amour dans sa version la plus pure. Mon égo pouvait se dissoudre complètement pour laisser place au don de soi et mon énergie et ma créativité étaient dirigées dans une seule direction: lui. Intuitivement, je donnais tout en mon pouvoir pour que cet enfant puisse vivre, grandir et être heureux. C’était littéralement ma raison d’être. Dans cet état de grâce, j’avais accès à des visions et intuitions profondes, mes pouvoirs de sorcière étaient bien actifs et je flottais sur un beau nuage d’espoir.

Pourtant, la situation extérieure n’était vraiment pas toute rose. Ceux qui me connaissent savent que ma relation avec le géniteur de mon fils était exceptionnellement difficile. Je vivais l’isolement et la violence conjugale dans un environnement étranger, sans famille et avec quelques amies précieuses qui m’ont gardé saine d’esprit. Mais quelque chose d’immense, de plus grand que tous mes tracas me traversait alors: l’amour. L’amour déraisonné, celui qui me faisait perdre la notion du moi jusqu’à en oublier mes propres besoins et envies.

L’amourette

Quand j’ai touché à ce degré d’amour à la naissance de mon fils, je me suis rappelée ma relation avec mon premier chum, quand j’avais 17 ou 18 ans. Dans toute mon innocence, j’ouvrais mon coeur et mon corps à ce garçon en qui j’avais une confiance aveugle. Cet amour était intense, mouvementé, déchirant. Nous étions tous les deux nouveaux dans le domaine de la relation amoureuse, surpris de tout ce qui nous traversait. Après quelques années, j’ai été complètement détruite par la nouvelle que celui à qui j’avais donné mon coeur m’avait trompé, tout bêtement dans un party, un peu soûl. Tout a alors changé pour moi. L’amour qui me traversait si facilement auparavant ne trouvait maintenant plus de chemin à l’intérieur de mon coeur. Quelque chose en moi s’est éteint et ne s’est pas rallumé avant l’arrivée de mon fils. 

J’ai vécu plusieurs autres relations entre les débuts de ma parentalité et aujourd’hui. L’effet enivrant que crée les débuts d’une relation amoureuse me prenait à chaque fois; les phéromones qui s’activent, la notion du temps qui se perd, les nouveaux repères qui se créent sur des sensations éphémères. À chaque fois, après quelque temps, une petite lumière s’allumait à l’intérieur de moi: qu’est-ce que tu fais là? Est-ce vraiment la personne avec qui tu as envie d’être? Je connaissais intuitivement la réponse, mais l’attachement me gardait prisonnière de ces relations toxiques ou peu nourrissantes. 

Encore une fois, des parties de moi avait été laissées de côté et elles criaient fort pour se faire entendre. J’avais oublié mes besoins fondamentaux au profit des sensations fortes et de l’apaisement momentané de mes blessures d’enfance. Le manque d’attention et d’affection étaient comblés par un facteur externe, mais les plaies étaient toujours béantes à l’intérieur de moi. Je n’avais considéré ni mon besoin primal de sécurité, ni celui de pouvoir faire confiance à la personne avec qui je partageais ma vie. Les besoins d’être entendue, comprise et respectée avaient aussi été mis de côté. Ce que je manifestais dans ma vie était des relations avec des hommes instables émotionnellement, qui reflétaient simplement ma propre instabilité. Ces hommes ne respectaient souvent pas mes limites et mes besoins puisque je n’arrivais pas à les respecter moi-même. Je voulais l’amour à tout prix, mais je le cherchais au mauvais endroit: à l’extérieur de moi.

L’amour propre

Au jour de l’an 2018, j’ai pris spontanément la résolution de m’aimer au complet. J’ai décidé qu’une grande partie de mes efforts et énergies allaient être déployée dans la direction d’apprendre à me connaître profondément, à m’écouter et à aimer toutes les parties de moi, même celles qui me paraissaient impossibles à aimer. C’était tout un projet! Mais j’avais beaucoup d’outils en main et une très forte volonté de me sentir bien. Après toutes ces années d’exploration de l’ésotérique et de recherche du savoir pour comprendre mon monde intérieur et extérieur, j’allais finalement redonner la chance à l’amour-propre de prendre plus de place dans ma vie. À travers des formations, livres, respirations, exercice et mes propres intuitions et introspections, je découvrais petit à petit mes besoins réels et non plus ceux que je croyais bien ou mauvais selon une morale extérieure. J’allais à la rencontre de ce qui avait de l’importance pour moi, selon mon propre système de valeur que je mettais en place tranquillement. Je découvrais ce qui constituait mon ego et, plus en profondeur, mon âme. Je reprenais enfin mon pouvoir.

L’amour à deux

Bien que ce processus d’aimer toutes les parties de mon être soit encore en cours (probablement pour quelques vies encore!), ma relation avec mon mari Bruce est définitivement ce qui ressemble le plus à la relation que j’ai toujours souhaitée, dont j’ai toujours rêvée. Une relation respectueuse et saine dans laquelle nous avons tous les deux de l’espace pour grandir et évoluer. Un amour profond, intense et passionné. De la tendresse qui coule à flot, une belle grosse dose d’attirance sexuelle et de désir charnel. Beaucoup de plaisir, de rires et de projets stimulants qui nous gardent dans une direction commune.

Mais surtout, j’aime cet homme. Ce qui nous unit est fort et puissant; un amour vibrant au plus profond de mon être. Cet amour m’aide à surmonter mes blessures et à réouvrir mon coeur dans toute sa puissance. Il me guide vers une version plus aimante, plus douce et sensible de moi-même. L’Amour qui nous traverse tous les deux l’un pour l’autre est grand, immense, guérisseur. Par l’effet de miroir,  ce que nous ne permettions pas d’aimer en nous-mêmes, nous apprenons doucement à l’aimer chez l’autre. Nous pansons ensemble nos plaies, apprenons à remettre de l’amour dans les endroits sombres de nos êtres. Comme deux enfants qui jouent à la vie, nous nous tenons la main dans la grande aventure de l’existence. Parfois on patauge ensemble dans le chaos de nos vieilles histoires, on se regarde, on se colle les joues, on se laisse de la place. En gardant une distance entre nos êtres, juste assez loin pour se reconnaître et assez proche pour se sentir ensemble, on s’aime en conscience. On est amoureux.

Être amoureux, ça veut dire quoi?

Pour moi, être amoureux c’est tout ça. C’est l’amour maternel, l’amourette et le grand amour. C’est s’aimer soi-même et aimer la vie. Mais c’est aussi beaucoup plus que ça.

Être amoureux c’est laisser l’amour, celui qui nous contient et nous compose, nous traverser simplement. C’est s’émerveiller, se trouver beau, donner sans s’attendre à recevoir. C’est cette sensation qu’on ressent quand on regarde, émerveillé, notre enfant qui vient de naître. Cette même sensation qui monte dans notre coeur quand on prend la main de notre premier amour, celui qui coule dans nos veines quand on prépare un bon repas pour notre famille et ce qui frétille en nous quand on se laisse caresser tendrement par notre bien-aimé.e. C’est aussi ça qui fait qu’on se regarde dans le miroir et qu’on se dit merci d’être là, merci d’être en vie, de ne jamais abandonner. C’est cette montée de joie qui nous traverse quand on éclate de rire, c’est la vague de chaleur dans notre coeur quand on regarde un coucher de soleil se transformer à chaque instant. C’est le pétillement d’une idée inspirante, l’apaisement d’une main posée sur notre épaule. Cette sensation est différente pour chacune, mais se ressemble dans son essence absolue.

Être amoureux ne se passe pas nécessairement dans une relation amoureuse, mais ça peut passer par là. En fait, ça peut passer partout où on le laisse passer. Être amoureux ça s’apprend ou ça s’expérimente spontanément. C’est le souffle de vie qui illumine notre regard quand on se donne le droit d’exister. Être amoureux, c’est vivre, vraiment.